THÈSE DE DOCTORAT

Sous titre
Se soigner dans la ville. Gestion urbaine de la santé et parcours urbains de soins de personnes séropositives. Approche comparative des cas de Bruxelles et Rouen".
Chercheur.e.s
Thèse
Se soigner dans la ville. Gestion urbaine de la santé et parcours urbains de soins de personnes séropositives. Approche comparative des cas de Bruxelles et Rouen".
Sources de financement
Allocation de recherche ANRS (Agence Nationale de Recherches contre le Sida et les Hépatites Virales) - France

Avec la transformation progressive du VIH/sida en une maladie chronique depuis la fin des années 1990, les personnes séropositives sont appelées à vivre dans une forme de dépendance à la médecine. Cette dépendance se trouve renforcée par deux transformations récentes de l’épidémie. D’une part l’allongement de la durée de vie des personnes séropositives conduit un nombre croissant d’entre elles à vieillir avec le VIH et souvent, à développer précocement des pathologies liées au vieillissement. D’autre part les pratiques de mise sous traitement antirétroviral dès le diagnostic se répandent afin d’atteindre au plus vite une charge virale indétectable et utiliser le traitement comme moyen de prévention de la transmission du virus.

Or, dans les pays où l’offre de soins spécialisés pour le VIH/sida permet un accès aux traitements et un suivi médical régulier, survivre puis vivre en situation de dépendance à la médecine et éventuellement avec le soutien social et affectif de proches, de pairs ou de professionnels - associations, groupes de self-help, assistants sociaux, médecins, psychologues, infirmières… - demande de se mettre en lien avec personnes et services, de se placer en situation d’aller vers eux, de ménager les conditions qui permettent de les atteindre ou de bénéficier de leur aide. Dès lors, se soigner prend la forme très concrète d’une activité inscrite dans un environnement. Elle implique la sollicitation de services de soins, des déplacements vers eux et une communication avec leurs membres, tout en préservant d’autres engagements sociaux (emploi, vie de famille, vie associative, vie médicale…). La personne séropositive est appelée à effectuer un travail de coordination, d’articulation des divers « mondes sociaux » qu’elle traverse mais aussi d’harmonisation de l’activité des différents professionnels qu’elle sollicite pour se soigner. Un tel enchaînement de recours aux soins et éventuellement à l’aide sociale représente un véritable parcours aussi bien social que spatial. Déployé dans le temps long de la maladie chronique et appliqué à l’environnement citadin, il forme un parcours urbain de soins.

Selon leurs vulnérabilités et leurs histoires de vie, on peut s’attendre à ce que les personnes séropositives se saisissent (ou non) de l’offre de soins de façon hétérogène. Cette recherche part de l’hypothèse que l’espace, en tant qu’environnement agi et agissant, contribue à la formation des parcours urbains de soins. Elle en étudie deux aspects : d’une part, les configurations de gestion urbaine de la santé, soit l’organisation historique et géographique des structures de soins et des politiques locales de santé et d’autre part le rapport à l’espace des personnes séropositives.

Les configurations de gestion urbaine de la santé dessinent des mécanismes d’orientation des personnes dans l’offre de soins : les forces d’attraction et de répulsion des différents établissements et services, tant au niveau géographique qu’organisationnel, les logiques de collaboration, d’accompagnement et de renvoi des personnes séropositives d’un service à l’autre. Une approche comparative entre deux villes, Bruxelles et Rouen, permet la mise en évidence des mécanismes locaux. On y trouve dans les deux cas une prise en charge du VIH/sida très hospitalo-centrée. Cependant, l’offre hospitalière bruxelloise est diversifiée, à la fois concurrentielle et complémentaire, tandis qu’elle est unique à Rouen. Alors que le travail en équipes pluridisciplinaires dans certains hôpitaux de jour entraîne le « tout à l’hôpital » à Bruxelles, il est modéré à Rouen par l’existence de collaborations formalisées entre l’hôpital et les autres acteurs de la lutte contre le VIH/sida.

Le rapport à l’espace des personnes séropositives et la mobilité socio-spatiale qu’elles développent avec plus ou moins de succès, catalysant l’ensemble des enjeux qui interviennent dans le fait de se soigner, apparaissent comme des révélateurs précieux du travail de coordination des recours et des activités que supposent ce fait. À travers leur rapport à l’espace, qui se déploie et évolue en un parcours de soins fluctuant tout au long de la maladie chronique, peut s’appréhender la façon dont les personnes se saisissent de l’offre de soins à leur disposition… ou ne s’en saisissent pas, ou pas comme on pourrait s’y attendre. Après avoir permis un séquençage du cycle de vie avec le VIH, la recherche aboutie à l’identification de modes d’action des personnes séropositives lors de deux séquences : l’installation dans le diagnostic (engagement dans la chronicité par la mise en place de recours) et l’aménagement de la vie dans la dégradation potentielle ou effective de la santé.

Ces modes d’action soulignent l’évolution des pratiques entre la première séquence et la deuxième, l’apprentissage de l’offre ainsi que les intentionnalités différentes dans les démarches de soins. Ils se résument en quatre formes de « motilité » (potentiel de mobilité) dans les soins : compensatoire, affranchie, forcée et extra-réticulaire. Celles-ci mettent en évidence quatre définitions de la « qualité » de la prise en charge qui conduisent les personnes à solliciter différents aspects des configurations de gestion urbaine de la santé : hospitalo-centrisme, articulation entre soins de ville et hôpital, variété de l’offre, globalité des soins incluant l’assistance sociale.


En filiation directe avec les travaux sur « l’expérience de maladie » (illness experience) menés dans les débuts de l’épidémie de VIH/sida, le principal matériau de recherche est constitué d’entretiens avec des personnes séropositives, conduits et analysés selon une approche compréhensive. Le dispositif méthodologique se compose également d’entretiens semi-directifs menés avec des professionnels de la santé et de l’aide sociale intervenant auprès de personnes vivant avec le VIH, rencontrés dans les établissements de soins, organismes publics et associations. L’analyse des configurations urbaines de la santé s’appuie aussi sur des documents d’histoire et d’architecture, documents administratifs, photographies…

La rédaction de la thèse est achevée.